Leçons de haute-fidélité à La Chaise-Dieu

article LCD - Malgoire-Lasserre
Jean-Claude Malgoire, Raphaël Pichon et Françoise Lasserre sont des fidèles du festival de La Chaise-Dieu (Haute-Loire). Ils seront présents à son cinquantenaire, du 18 au 28 août. À travers leurs anecdotes se dessinent de grandes vérités sur une musique des plus vivantes.

Conférence de presse du festival de La Chaise-Dieu, dans un salon du Sénat, à Paris. Pour donner de l’épaisseur à l’exercice, Julien Caron, directeur de l’événement a convié trois chefs, trois fidèles, qui seront présents à la prochaine et 50 e édition. Festival de musique et d’anniversaires : Jean-Claude Malgoire, y fêtera également les 50 ans de la Grande Écurie et La Chambre du Roy (avec la Passion selon saint Matthieu), Françoise Lasserre célébrera les 30 ans d’Akadêmia (avec le Magnificat de Bach) et Raphaël Pichon les 10 ans de Pygmalion (sur des airs italiens de la fin du XVI e siècle).

L’âme du festivalChacun y va de son anecdote qui tient autant de l’humain que de l’artistique. Elle explique la construction de l’âme du festival tout comme sa participation à l’avènement de la musique dite ancienne. La discussion continue entre ce fameux trio alors que la troupe de journalistes est déjà loin… L’attachement à La Chaise-Dieu ne serait pas de façade : « La fidélité dans ce milieu est providentielle, explique Jean-Claude Malgoire. Grâce à elle, on ose faire de grandes choses ».

« En 1986, j’étais jeune et rebelle avoue Françoise Lasserre et j’avais le souhait d’y jouer des raretés comme le Requiem de Gossec. Un tempérament qui collait avec la personnalité du directeur de l’époque, Guy Ramona ». « Il avait franchement l’esprit éclaté, ajoute Jean-Claude Malgoire. Il fallait utiliser chaque cmâ de l’abbatiale pour mieux la faire chanter. Ça m’a valu de diriger à 10 mètres du sol ! ». Les trois chefs, et certainement bien d’autres partagent la même sensation en arrivant devant l’abbaye : « C’est un vaisseau spatial explique Raphaël Pichon, et on se demande bien comment on va faire pour le remplir »… « Mais on sait toujours qu’on va y faire de la belle musique » termine Françoise Lasserre.

En 2006, le chef de Pygmalion y a donc fait ses débuts… repoussés de quelques minutes : « Bras en l’air, je suis prêt mais je constate un léger trouble dans le regard des premiers violons : ils ont oublié leurs partitions dans les loges. Je me rappelle de la colère de Jean-Michel Mathé mais pas autant de cet élan qu’il me donne pour entrer en scène. L’identité de Pygmalion, celle de défendre Bach et son héritage, s’est aussi construite là. » La preuve quelques années plus tard, même endroit, avec Elias de Mendelssohn ou un Requiem allemand à deux pianos.

Jean-Claude Malgoire écoute le « jeune Pichon » avec bienveillance : « Il fait bien et sans copier. Moi je suis venu au moins vingt fois à la Chaise-Dieu. La première fois en 1977, pour jouer Rameau avec plus de sens. Dix ans après, on s’attaquait à Mozart. La prise de conscience au niveau de l’interprétation est totale et aujourd’hui, elle se pose pour Debussy et Wagner. Sans renier le travail des orchestres modernes qui est une façon de faire vivre le répertoire avec son temps, je veux juste faire sonner la musique comme les compositeurs l’avaient imaginée, explorer tous les chemins pour toucher cette vérité. »

Musique vivanteMême posture pour Raphaël Pichon mais un objectif révisé : « Jean-Claude a compris qu’il fallait casser une tradition que le XIX e siècle et une grande partie du XX e avaient laissé s’installer. Il fallait avoir un esprit révolutionnaire qui n’est pas le mien et qui ne m’inspire pas. Je ne me pose plus la question de savoir s’il faut jouer comme ça : je sais que c’est ainsi. J’ai maintenant la responsabilité que le baroque ne retourne plus dans la tradition, trouver sans cesse le moyen de le faire vivre en se cassant la tête pour trouver une nouvelle sonorité qui a d’ailleurs des siècles. Elle doit transcender l’œuvre. »

Le trio se sépare en souriant d’une blague autour du hautbois de chasse, instrument revenu de l’oubli et qui échappe à l’entendement. Ils ont souffert de son humeur changeante : « Le mec derrière, c’est peut-être le tueur de l’instrument, mais si ce jour-là il a la bouche pâteuse ou si l’air est humide, c’est le couac. Ça fusille une interprétation, désole le public, rend fou le chef mais c’est bien le signe qu’il n’y a rien de plus vivant que cette musique. »

Pierre-Olivier Febvret

Les invités. Le festival de La Chaise-Dieu (Haute-Loire) fêtera son 50e anniversaire du 18 au 28 août. Cette édition est marquée par une grande rétrospective avec notamment le concert d’ouverture, reprise par l’Orchestre national d’Île­-de-France et le pianiste Pascal Amoyel du premier « grand concert symphonique » de G. Cziffra et G. Cziffra Jr, donné le 25 septembre 1966. L’élan symphonique sera également porté par le Berliner Symphoniker (dir. Amaury du Closel), la Chambre Philharmonique (dir. Emmanuel Krivine), l’Orchestre national de Lyon et celui de Lorraine (dir. Jacques Mercier) en compagnie de deux chœurs sud­coréens. Nouveaux répertoires et esthétiques aussi avec la Misa Criolla de Ramirez (par le Chœur de chambre de Pampelune et La Chimera). Le festival affirme sa modernité en accueillant le Chœur Britten (dir. Nicole Corti) qui viendra achever son cycle de 31 créations avec des pièces de Guérinel, Canat de Chizy mais également une nouvelle version du Magnificat de Philippe Hersant. Le compositeur français sera également joué par l’Orchestre de chambre de Bâle (Fantaisies sur le nom de Sacher) placé sous la direction de Renaud Capu­çon, l’un des invités de prestige du festival au côté du violoniste Svetlin Roussev, des pianistes Alexander Ghindin, Katia et Marielle Labèque ou le clarinettiste Raphaël Sé­vère dans deux programmes Mozart l’un avec l’Orchestre d’Auvergne, l’autre avec le Quatuor Prazak. Côté musique ancienne, outre le trio Pichon-Lasserre-Malgoire, il faut noter deux grands retours : les Gabrieli Consort & Players de Paul McCreesh et le Collegium & Collegium Vocale 1704 (dir. Vaclav Luks). Au registre des ensembles encore jeunes mais déjà admirables : Correspondances (dir. Sé­bastien Daucé), Le Banquet céleste de Damien Guillon, et le Concert de la Loge de Julien Chauvin. Hervé Niquet et son Concert spirituel se chargeront du final avec Haendel. Pratique Concerts à La Chaise-Dieu, Le Puy-en-Velay, Brioude, Saint-Paulien, Chamalières-sur-Loire, Ambert et Lavaudieu. Tarifs : de 8 € à 85 € (nombreuses possibilités d’abonnemets). Plus sur www.chaise-dieu.com